Deuil
Bernard
Mes sœurs frères cousines cousins s’en souviennent
Nous t’appelons non pas « mon oncle »
C’est trop commun trop dans les convenances
Nous t’appelons « petit mon oncle »
Appellation enfantine et tendre
Pour dire notre connivence
En fait tu es mon grand frère
Qu’à chaque vacance petite ou grande
Je souhaite tant retrouver.
Bernard petit mon oncle
Tu as 18 ans, j’ai 8 ans
Et du haut de ta jeunesse
Tu éclaires mon enfance pâle
Nous sommes en 1960
A la ferme en pays familier où tu reviens
Règne une atmosphère de fête
Grand frère tu te plies en deux
Pour nous extraire un sourire
Ces rais de soleil journaliers
Pour nous faire jaillir des fous rires
Torrents bienfaisants remontant
Du profond de la gorge
Des galopins que nous sommes.
Dans la pâture
Fleurie de vaches étonnées
Peuplé de vieux pommiers
A tes côtés
Ma sœur et moi jouons
Courons à perdre haleine
Croquons à pleines dents la pomme.
A l’ombre d’un bouquet de frênes
Que nous appelons le petit bois
Après le dur labeur de la matinée
Après le frugal repas
Nous faisons à trois une sieste enjouée
Grand frère de nos ébats
Tu es l’artisan
Tu en es l’âme de chair
Et de nos frissons.
Dans la grande chambre
Près du lit déserté de nos tantes
Habite l’harmonium
Et de tes grandes mains alertes
Tu lui donnes vie
Debout de chaque côté
Jeunes pousses ravies
Nos cordes vibrent à l’unisson.
Ainsi se passe l’enfance à la ferme
Entre le labeur quotidien
Pour nos frêles pognes
Et nos espaces d’insouciance
Forts de ton affectueuse mais trop rare présence
Quelques années passent
Ensemble nous ébauchons
Mes sœurs frère, cousines cousins
Ici s’en souviennent
Au cœur de l’enfance
Ou au seuil de l’adolescence
Des escapades des échappées belles
En roue libre
Tu en es le moteur
Le généreux essaimeur
De légèreté et d’allégresse
Exquises embellies
Qui se renouvellent trois années durant
Nous empruntons les chemins de traverse
Dormons dans la paille
Fuyons les jours gris
Essaim libre parmi les aubépines
Ah l’enfance réconciliée enchantée
Par la faveur du grand frère
Bernard tu as éclairé notre enfance
Tu adoucis aussi notre adolescence.
Plus tard nous écumons les bals populaires
En Allemagne tu m’emmènes
Pour travailler pendant les vacances
Sur l’oreiller de l’auberge
Tu me fais des confidences
Tu t’ennuies de ta belle
Ton amoureuse a le doux nom de Thérèse.
Et puis comme le chantait Mouloudji
« Que le temps passe vite
Hier nous étions encore enfants
Un cœur tout neuf comme un printemps
Et des rêves dans chaque crique »
La vie suit sa course riante et grave
Naissent et grandissent Julie isabelle olivier
Tendre père tu t’émerveilles de tes trésors
Et les entoures de tes bras protecteurs
Jusqu’à l’envol vers d’autres bras, vers un autre nid
Comme tu as raison d’être fier !
Et voilà qu’un terrible ennemi inconnu t’assaille
Toi qui es si paisible si rétif aux excès
Avec une immense douleur, avec courage
Impuissants, Thérèse et les enfants assistent
A l’avancée du monstre
Tu prives ton entourage de ta parole limpide
Ainsi se tarit l’eau douce d’une source
Et soudain la nuit t’enveloppe de son manteau de silence
La- haut brillent la grande ourse
L’infini et son charriot d’étoiles
En bas la terre est devenue trop étriquée
Si décolorée
Tu pars si tôt pour l’autre monde
Sur la pointe des pieds
Grand frère nous sauvegardons
Au bord des lèvres des bouffées de paroles
Au fond de nous l’image vibrante
D’un être cher, d’un être bon
D’un être ouvert tu es tout cela réuni
Quelqu’un qui a habité humainement
Fraternellement, pacifiquement la terre
Et ta discrète et rassurante présence
Nous manque déjà.
Marc