Passez leur un savon !

Ils doivent apporter leur savon.

En liquide de préférence.

Chaque petit élève en début d’année scolaire offre à sa maîtresse son présent parfumé.

Pendant que l’édile déroule ses projets pompeux, affiche ses vaniteux appétits, puise dans l’argent public pour assouvir sa soif de grandeur et de reconnaissance, il demande par ailleurs – et cet ailleurs est un autre monde, un univers à mille lieues de son cercle « éclairé », par une froide note de service, il réclame son obole à chaque enfant des écoles, classées en REP*.

Une obole, c’est trois fois rien me direz-vous…

Oui mais du savon, quelle idée !

Quelle idée derrière la tête des bien pensants ?

Pour entrer proprement dignement dans l’antre de la connaissance ?

Tous ces chérubins des blocs et des faubourgs devront à leur frais se laver les mains avant d’entrer dans l’école de la république.

Et bientôt ils paieront pour qu’on leur apporte un surcroît d’éducation physique, plastique, artistique, tique, je tique, en marge du régime scolaire. Ah c’est en cours !

Bientôt on doublera le prix du repas insipide, livré en matière plastique, tique, tique, je tique encore.

Bientôt ils apporteront leurs outils, livres, crayons, papier, gomme pour effacer leur belle enfance insouciante. Ah, c’est déjà fait !

Aujourd’hui ils apportent leur savon. Ils ont tant de crasse, ces ptits gars, ces donzelles des faux bourgs, tant d’ignorance, tant de paresse que les deniers publics ne suffiront pas à les laver, à les dégrossir.

Bientôt ils ramèneront leurs uniformes pour que le troupeau plus aisément se fonde sans avis contraire sans regard de côté dans la masse anonyme des non pensants.

En Angleterre, un homme politique s’est levé pour dire que chaque enfant à l’école, du bourg ou du faubourg, doit apprendre à jouer d’un instrument de musique, car la musique adoucit les mœurs, comme tous les arts…

 On lui a ri au nez.

Qu’ils apportent déjà un savon !

*REP : réseau d’éducation prioritaire